Contexte

Selon les chiffres de Worldometers, les estimations d’avortement s’élèvent à plus 15.900.000 du 1er janvier au 16 mai 2020, et le nombre ne cesse d’augmenter chaque minute. La question de l’avortement pourrait être considérée comme l’une des plus sensibles. Elle ne cesse de soulever de nombreux débats un peu partout dans le monde. Certains États le considèrent (l’avortement) comme une infraction et le classe parmi les crimes[1], catégorie d’infractions la plus élevée et impliquant les plus lourdes peines. D’autres États, cependant, n’en font aucun cas. Ces deux positions que l’on peut observer chez les États reflètent en réalité les deux pôles du débat. D’une part, nous avons les personnes en faveur de l’avortement, qui estiment qu’il s’agit d’une question relevant de la liberté humaine. Chaque être ayant le droit de disposer de son corps comme il l’entend, la femme devrait pouvoir décider librement d’interrompre sa grossesse si elle le désire. D’autre part, nous avons les personnes dites pro-vie qui, sans remettre en cause la liberté de la femme, estiment qu’il faut voir plus loin. Les arguments en ce sens relèvent de divers domaines, à savoir la médecine, la religion, le droit…

Nous apporterons notre modeste contribution au débat en l’observant sous un angle juridique.

Tout être humain a le droit de disposer de son corps comme il l’entend. Cela est indéniable. Cependant, il est aussi indéniable que le droit ne permet pas les atteintes faites à autrui, encore moins lorsque lesdites atteintes pourraient toucher des droits fondamentaux tel que le droit à la vie. De ce point de vue, les questions à se poser seraient les suivantes : les dommages résultant de l’avortement s’appliquent-ils à la seule personne de la femme qui se fait avorter ? Autrement dit, l’embryon et/ou le fœtus peut-il être considéré comme une personne pouvant bénéficier de la protection du droit?

L’embryon et/ou le fœtus bénéfice-t-il du droit à la vie?

Principe : Toute personne ayant terminé la première année en droit connait la personnalité juridique. Pour la définir en termes simples, il s’agit de l’aptitude qu’a chaque individu à être titulaire de droits et de se voir imposer des obligations. Le droit à la vie étant avant tout un droit, en bénéficier implique l’acquisition de la personnalité juridique. Quant à cette dernière, elle s’acquiert à la triple condition d’être né[2] vivant[3] et viable[4]. Partant de ce principe, un enfant encore dans le ventre de sa mère ne bénéficie pas de la personnalité juridique, ce qui signifie qu’il n’a aucun droit. Si l’on s’arrête là, l’argument des défenseurs de l’avortement prend tout son sens. En effet, l’avortement ne porterait atteinte qu’aux droits de la femme, et pourrait donc être pratiqué avec son consentement en vertu de sa liberté de disposer de son corps. Il faudrait cependant regarder plus loin et se demander s’il n’existe pas d’exception pouvant rendre le principe inefficace.

Exception : Il existe en droit des mécanismes appelés « fictions juridiques ». Ces mécanismes consistent, sous certaines conditions, à considérer qu’une situation est réelle, bien que cette dernière soit irréelle, et à en tirer les conséquences juridiques qui s’appliquent. Face à la triple condition pour acquérir la personnalité juridique que nous avons évoquée plus haut, il n’est pas rare de poser une exception tirée d’une fiction juridique, le principe de l’infans conceptus. Ce principe est tiré de l’adage latin « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur » ce qui peut se traduire dans les termes suivants : « l’enfant simplement conçu est présumé né chaque fois qu’il y va de son intérêt. » Ce mécanisme permet de considérer qu’un enfant est né, alors même que ce dernier est encore dans le ventre de sa mère, à la seule condition qu’il a un intérêt à défendre. Ce mécanisme est majoritairement mis en œuvre en matière de successions (héritage). En effet, la succession est un droit qu’on acquiert en raison de certains liens qu’on avait avec le défunt ou de la volonté de celui-ci exprimée dans un testament. Or lorsqu’un individu décède et que ce dernier est géniteur d’un enfant non encore né au moment de son décès, l’enfant en question ne peut en principe pas hériter parce qu’il n’a pas la personnalité juridique du fait de sa non-naissance au moment du décès. On corrige donc cette situation en recourant au principe de l’infans conceptus. L’intérêt représenté par les biens à hériter fait qu’on considère, par fiction, que l’enfant est déjà né. On lui confère donc par anticipation la personnalité juridique, ce qui lui permet d’être titulaire de droits, notamment du droit de succession.

Le lecteur l’aura sûrement compris, les conditions de mise en œuvre de l’infans conceptus sont la conception de l’enfant et l’intérêt qu’il a à défendre. Pour parler d’avortement il faut obligatoirement qu’il y ait conception. Ensuite, l’enfant en phase d’être avorté a clairement un intérêt à défendre en la vie qu’il pourrait ne pas avoir en cas d’avortement.

S’il ne pose aucun problème à considérer que des biens à hériter constituent un intérêt suffisant pour octroyer le droit de succession à un enfant non encore né, pourquoi la vie à conserver ne serait-elle pas un intérêt suffisant pour octroyer le droit à la vie à un enfant en phase d’être avorté?

 

Conclusion (en clair)

Du point de vue du droit, le seul argument pouvant justifier un avortement est le fait que l’enfant n’est pas encore né, donc n’est pas considérer comme une personne. Or le principe de l’Infans Conceptus permet de considérer par anticipation qu’un enfant est né si ce celui-ci a un intérêt à défendre et qu’il aurait pu défendre aisément s’il était.

L’exception primant sur le principe, on peut donc affirmer que l’enfant sur le point d’être devrait se voir respecter le droit à la vie.

AKÉ Tchimou Yannick Kévin, Doctorant en Droit
Université de Montréal

tchimou.yannick.kevin.ake@umontreal.ca

[1] Les crimes sont les infractions les plus graves. Suivent ensuite les délits et enfin, les contraventions.

[2] Sortir du ventre de sa mère.

[3] Au moins respirer, ce qui exclut les mort-nés.

[4] Avoir les organes nécessaires à la vie opérationnels.