Les mauvais dictionnaires français mentionnent le mot « enjaillement » mais omettent le mot « gbangban ». Ce qui n’est pas seulement une erreur lexicologique. Elle est aussi métaphysique : n’est-ce pas le gbangban (surtout lorsqu’il est terminé) qui donne tout son sens à l’enjaillement ? L’omettre donc, ce serait comme parler de jour sans nuit, de pile sans face, de Jobs sans Gates, de Naruto sans Madara… Heureusement, à Comoé, nous avons de bons dictionnaires. Et dans l’un d’eux, entre les mots « gazouillis » et « geai », apparait le non moins bruyant « gbangban ». Voici un extrait de la page savante :

GBANGBAN n.m ou f. inv. (mot ivoirien)
1. Troubles graves à l’ordre public : Il y a eu trente morts pendant les gbangban. 
2. Soulèvement pas toujours spontané contre l’autorité établie : Le préfet a dû fuir à 
cause des gbangban 
3. Scène de ménage, querelle vive et inattendue : Il y a gbangban chez les voisins.

Le dictionnaire aurait pu ajouter bien d’autres éléments caractéristiques des 2 premiers sens. Que les gbangban concernent en principe les républiques bananières avec leurs traditions de mutinerie, push, coup d’état, coup d’état manqué, tentative de coup d’état, pillages, etc. C’est pourquoi, un aspect essentiel des gbangban c’est le bruit : détonations, explosions, tirs d’artilleries, tirs sporadiques, bombardements, rafales, incendies, sifflements de balles, cris de détresses des civiles et autres sons de ce genre. On comprend donc que les gbangban soient accompagnés de couvre-feux épicés par la police, fermeture des frontières, ports et aéroports, écoles et universités, rumeurs affolées et affolantes, difficultés de ravitaillement avec vidage de super et hyper marchés, réduction drastique des déplacements, enfermement total à la maison pour éviter les balles perdues avec ce qu’un confinement forcé cause comme angoisse, stress et autres états psychologiques de ce genre.

Or, depuis le 16 mars, nous sommes justement entrés en période gbangbanesque, avec tout ce que cela implique. Le bruit excepté. De mémoire d’éléphant, c’est du jamais vu. Du jamais entendu. Surtout que tout le globe est concerné par l’alerte, même les républiques pas du tout bananières, ayant péché cette fois par un excès de confiance en elles-mêmes. Cette fois, même à Bingue, les militaires, leurs cargos et hélicoptères sont entrés en action. Sans coup férir. Et dans ce silence, le seul bruit terrifiant est un éternuement non homologué ; ou des quintes de toux trop continues. Nous sommes en plein gbangban silencieux. Il faudra (encore) améliorer nos dictionnaires. Mais il y a tant de choses qu’il faudra recalibrer dans nos modes de vie, nos politiques, nos connaissances scientifiques, nos échelles de valeurs. Dans ce silence, il y a tout un monde qui s’effondre. Et dans ce silence, un autre qui naitra. Et nous nous comptons bien y être.

C’est pourquoi, nous répétons encore et encore les gestes dits barrière, car à chaque gbangban, son kit de survie. Cette fois, nous nous lavons les mains comme des forcenés pour faire barrière au virus ; nous nous prenons par la main, pour surmonter ensemble le péril ; nous bougeons les mains, pour travailler confinés et éviter le mortel virus de l’oisiveté ; et surtout, nous levons les mains, pour invoquer le secours divin : oui, nous autres, vieux briscards du gbangban, nous savons bien que c’est Dieu seulement qui peut nous en tirer, comme cela a déjà été le cas les dernières fois !

DJ Alafac, confiné