La légende raconte que la reine Abla Pokou et ses partisans poursuivis par les troupes de son vieil oncle Itsa auraient été bloqués par un fleuve en furie… un certain fleuve Comoé qui finit par laisser passer ce peuple après que la reine eut offert son fils unique en sacrifice.

Mon origine me permet de faire ce parallèle avec le Centre Culturel Comoé à la différence que c’était plutôt moi qui étais en furie, perturbé et désorienté par deux années de fermeture des universités publiques à la suite de la crise post-électorale de 2010-2011. Et de sacrifice ! Tel celui de la reine, il n’en fut point. Ce sont plutôt les personnes que j’y ai rencontrés qui n’ont pas hésité à se mettre, de façon désintéressée, à mon service sans même le faire remarquer ou attendre un « merci » en retour.

Si des études sociologiques soutiennent que les prénoms ont une influence sur l’identité des personnes, le Centre Culturel Comoé n’a gardé du fleuve éponyme que sa nature transfrontalière pour accueillir des jeunes venus de toutes les régions et religions, sans égard pour leur condition sociale.

Célestin et Yannick rangent les livres de la bibliothèque (2013)

Célestin et Yannick rangent les livres de la bibliothèque (2013)

Ce centre je l’ai fréquenté pendant cinq années entre octobre 2012 et septembre 2017. Il aura fallu l’amitié et la patience d’une personne au cœur débordant qui, comme un aventurier ayant découvert un trésor, s’empresse d’associer ses proches à sa joie et de leur en faire profiter.

Dans ce centre, alors en 2e année de droit, j’ai rencontré des étudiants toujours joyeux, qui chaque fois que j’ai sonné à la porte du Centre Culturel Comoé, me l’ont ouverte littéralement avec un tel sourire que je me remémorais les bras ouverts de ma mère m’accueillant après une dure journée d’école. J’ai rencontré des étudiants prêts à se proposer pour expliquer un cours par ici, pour proposer une conférence ou une excursion par là.

J’ai rencontré des étudiants qui se refusaient à « voler comme des oiseaux de basse-cour » quand ils pouvaient s’élever comme des aigles. J’ai rencontré des étudiants confrontés aux difficultés de la vie estudiantine où se joue « le championnat national de la grève », à la ‘’galère ‘’, au ‘’kouadio’’ sur le chemin duquel la patience dort, aux cambodgiens qui « s’entassent » à huit dans une chambre pour deux. Mais ces étudiants-là jamais ne perdaient le nord.

J’ai rencontré des étudiants constants dans leur travail, cherchant toujours à s’améliorer sans tomber dans le trouble obsessionnel du perfectionnisme mais acceptant les échecs à un examen ou à un concours, en commençant et recommençant toujours.

J’ai rencontré des étudiants qui soignaient autant leur apparence que les valeurs et vertus qu’ils s’efforçaient chaque jour de vivre dans leur amphithéâtre, leur laboratoire ou dans les hôpitaux où ils effectuaient un stage.

J’ai rencontré des étudiants capables de lever les yeux de leurs propres cours pour porter assistance à des enfants par des cours de soutien, pour visiter des malades qu’ils ne connaissent même pas, des étudiants capables de monter sur le toit d’un établissement scolaire en ruine pour en refaire l’étanchéité et parfois même aller jusqu’à « l’échangéité » du toit de la maison du chef d’Affiénou en 2014, de prendre un pinceau pour peindre les murs d’un établissement scolaire sans attendre quelque gratitude en retour ni attirer la rampe de médias.

Campagne d’hygiène au dispensaire d’Affiénou

J’ai rencontré aussi des étudiants faisant le « show », férus de « wôyô » mais aussi de «coupé-décalé » au point d’organiser une conférence sur l’héritage musical de DJ Arafat, des jeunes aimant aller à la plage, jouant au football tous les dimanches après-midi au fameux Souroulélé Stadium qui a vu tant de buts magnifiques dignes d’un retourné acrobatique d’un certain C. Ronaldo face à la Juventus de Turin en demi-finale de la ligue des Champions.

Bref, j’ai rencontré des étudiants « normaux », des étudiants de leur temps, de leur génération, des étudiants humainement et intellectuellement solides, des étudiants intégralement formés.

En 2016, à la fin des travaux de réhabilitation de l’école de Pokaha (Korhogo)

Ces cinq années passées à fréquenter le Centre Culturel Comoé ont été des années magnifiques, où j’ai appris à me surpasser, à rendre service gratuitement, à partager, à faire amitié avec les différences des uns et des autres. Dans ce centre, l’on m’a fait confiance pour me confier des responsabilités qui même minimes pouvaient faire dérailler tout un édifice si elles n’étaient pas assumées sérieusement et surtout l’on m’a appris comment les accomplir. Dans ce centre, j’ai appris à devenir pleinement un HOMME. Esto vir.

Yannick Kouassi, doctorant en Droit (Université de Strasbourg)