Chaque année, la période entre la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (25 novembre) et la Journée des droits de l’homme (10 décembre) constitue 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre. Il s’agit « d’oranger le monde », l’orange symbolisant un avenir meilleur, sans violence[1]. Nous en sommes à la 30ème édition cette année. J’aimerais apporter ma modeste contribution à cet « orangeage » en soulignant les effets pervers d’un vecteur tout aussi puissant que silencieux de violence de genre : la pornographie.
Depuis les années 1970, de nombreuses études de différents domaines scientifiques montrent qu’il existe un lien étroit entre consommation de pornographie et violence physique et verbale, notamment contre les femmes : la pornographie renforce les stéréotypes de genre et présente la femme comme un vulgaire objet de plaisir. L’une des plus importantes études sur ce point remonte à l’année 2015. Réalisée par les universitaires américains Wright, Tokunaga et Kraus[2], elle analyse 22 études provenant de 7 pays sur cette question. Sa conclusion est qu’il existe un lien significatif entre consommation de pornographie et violence sexuelle ou comportements sexuels agressifs. Les auteurs observent que le type de contenu visualisé est un facteur important : en effet, l’impact sur le spectateur est d’autant plus grand que le contenu est plus dégradant ou plus agressif. Or, le matériel pornographique consommé habituellement par de larges franges de la population a déjà un contenu fortement agressif, méprisant ; il affecte ainsi les conduites voire les croyances mêmes des consommateurs. Wright, Tokunaga et Kraus ont aussi découvert que, contrairement aux femmes, les hommes sont prédisposés à être affectés par la violence pornographique ; pour la simple raison que les vidéos pornographiques contiennent surtout des scènes de violence contre les femmes[3].
Dans une étude plus récente, les psychologues Rodriguez et Fernández-Gonzalez[4] observent que la consommation de la pornographie induit aussi un comportement agressif envers la femme au sein du couple. Enfin, lorsque les femmes en consomment, elles sont plus enclines à définir la féminité comme soumission à l’homme.
Or, il se trouve que la pornographie est actuellement la chose au monde la mieux partagée : on estime que 30% des fichiers échangés sur internet sont pornographiques ; 50% des contenus d’internet est de la pornographie ; un important site pornographique contenait en 2018 plus de 1,5 million d’heures de vidéos pornographiques (il nous faudrait au moins 175 ans pour les visualiser) : or, il existe près de 800 millions de sites pornographiques ; par ailleurs, l’âge moyen du début de consommation de toute cette webpornographie est de 11 ans dans certains pays, 8 dans d’autres ; 1/3 des enfants entre 10 et 14 ans consomment de la pornographie ; enfin, 93% d’hommes adultes reconnaissent avoir consommé de la pornographie dans leur adolescence[5].
En somme, la pornographie empoisonne de violence de genre les gourdes des écoliers, en badigeonne abondamment les gouters des lycéens et en sature les adultes à longueur de téléchargements. Le vent étant semé à pleine main, et à quoi pourrait-on s’attendre ? Nous avons donc besoin de sortir de notre torpeur pour prendre conscience de l’extrême gravité de la situation et rompre cette chaine de violence qui, d’ailleurs, est loin d’être le seul dégât causé par la pornographie. Ce sont en particulier les pères et mères de famille qui devraient se réveiller et exiger des autorités plus de restriction concernant les sites pornographiques et des mesures drastiques pour en protéger les mineurs. Le logo de la campagne « Oranger le monde » est un parapluie orange pour parler de notre unité dans la lutte contre la violence physique, verbale et émotionnelle. Ouvrons les yeux pour voir ce malicieux intrus qui s’y abrite aussi.
Landry Gbaka-Brédé
[1] Voir Campagne Oranger le monde (unesco.org). Je suppose que ce n’est pas par hasard qu’il y a de l’orange dans notre drapeau national.
[2] Voir https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jcom.12201: A Meta‐Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression in General Population Studies, 29 décembre 2015.
[3] Selon une autre étude, 88% des scènes pornographiques contiennent de la violence physique, 49% de la violence verbale et les femmes sont à 87% les victimes de ces actes. Ces chiffres sont fournis par les universitaires américains Bridges A., Wosnitzer R., Scharrer E., Sun C., Liberman R., dans « Aggression and Sexual Behavior in Best-Selling Pornography Videos: A Content Analysis Update », in Violence Against Women, Vol. 16 (10), 2010, pp. 1065-1085.
[4] Rodríguez C. et Fernández-González L., « ¿ Se relaciona el consumo de pornografía con la violencia hacia la pareja? El papel moderador de las actitudes hacia la mujer y la violencia. » Psicología Conductual, 27(3), 2019, pp. 431-454.
[5] Pour ces chiffres, voir par exemple les sites www.daleunavuelta.org, www.fightthenewdrug.org et DECLIC (assodeclic.com)
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